vendredi 31 mai 2013

Argentina, Argentina de Christophe Léon



         En lisant le titre vous imaginez déjà, un petit sourire aux lèvres,une histoire d'amour sur un air de tango, au son du bandonéon, dans les rues de Buenos Aires... Désolée de couper court à vos douces illusions, mais vous avez tout faux ! Le roman nous emmène bien plutôt dans les sombres années de la junte militaire argentine, de 1976 à 1983, grâce aux récits d'une victime directe des événements.
         Nous sommes en 1998. Un reporter français veut enquêter et publier sur le régime totalitaire et ses conséquences concrètes. Il part alors sur le terrain rencontrer un certain jeune homme de 26 ans à deux prénoms, qui a subi de plein fouet les atrocités. Ce dernier, en transmettant les multiples morceaux de son passé, et en faisant partager son humble quotidien, révèle aux lecteurs adolescents – dont les manuels scolaires débordés passent à la trappe « l'épisode » politique pourtant récent – le régime toujours plus répressif qui transforma et bouleversa un pays sur plusieurs générations ; les « baptêmes de l'air » qui furent une fabuleuse trouvaille pour se séparer efficacement des opposants ; les « adoptions » avec trafic de l'état civil, qui furent aussi un ingénieux moyen d'agrandir sa famille facilement. Mais quand le régime tombe et que ses dirigeants fuient en Suisse ou ailleurs, il laisse des plaies béantes et un peuple en désarroi. Certains enfants se souviennent de leurs deux familles, d'autres ne connaissent que celle qui les a « accueillis » presque chaleureusement. Les grands-mères, celles qui ont vu impuissantes le martyre enduré par leurs enfants et petits-enfants, se mobilisent sur la place de Mai pour ne pas oublier, et pour retrouver leurs chers petits. Dans quel cas de figure préfèreriez-vous vous trouver ? La violence est partout, imprègne tout.
Dans ce contexte pour le moins troublé et bouleversant, plusieurs questions et problèmes sont soulevés : le rapport à la famille biologique et d'adoption, l'importance des origines, et par là même la transmission et l'éducation. Ce sont des questions existentielles qui touchent intrinsèquement tout un chacun dans la construction de soi . Mais dans une telle histoire, une telle ambiance, elles prennent une réelle ampleur et deviennent profondément préoccupantes. Car on prend alors conscience que nous sommes bien loin d'être dans un monde manichéen. Les bourreaux peuvent aussi avoir de bons côtés – et on a plus de mal à leur en vouloir. Inversement, même paré des plus belles intentions, on ne parvient pas nécessairement à ses fins. Des sentiments ambivalents cohabitent et les remises en cause de soi sont alors bien douloureuses.
         Ce roman au réalisme poignant met en exergue de tels dilemmes dans toute leur violence, et il transmet avec brio les plaies suintantes du pays sud-américain grâce à un témoignage individuel. On ne sort pas indemne de cette œuvre intense et bouleversante à bien des égards.
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Chronique à retrouver sur le site de la librairie Contrebandes.


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